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vendredi 13 novembre 2015

Article tribune de Genève

Jean Dufaux met l’amour au cœur du mal

Bande dessinéeAuteur de «Complainte des landes perdues», le scénariste aux 230 albums lance un nouveau cycle dessiné par Béatrice Tillier.

La couverture du premier tome des «Sorcières», le nouvel opus de «Complainte des landes perdues». Succédant à Grzegorz Rosinski et Philippe Delaby, la dessinatrice française Béatrice Tillier met en images le troisième et dernier cycle de cette série que le scénariste Jean Dufaux présente comme une «légende mythologique».

La couverture du premier tome des «Sorcières», le nouvel opus de «Complainte des landes perdues». Succédant à Grzegorz Rosinski et Philippe Delaby, la dessinatrice française Béatrice Tillier met en images le troisième et dernier cycle de cette série que le scénariste Jean Dufaux présente comme une «légende mythologique». Image: Ed. Dargaud

Sur la promenade de la Treille, puis dans les rues de la Vieille-Ville, Jean Dufaux musarde le nez en l’air. «Partout où je passe, j’aime flâner et rêver», glisse le scénariste belge aux quelque 230 bandes dessinées. Arpentant les pavés mouillés de la Grand-Rue, cet ancien journaliste cinématographique s’arrête devant la plaque commémorative dédiée à l’acteur genevois Michel Simon. A quelques pas, l’amateur de littérature qui est en lui s’enthousiasme devant un autre panneau, consacré à Jorge Luis Borges, un de ses écrivains préférés.
Tout en posant des questions sur le tissu historique de Genève, Jean Dufaux s’engouffre dans la galerie Perspectives Art9, toute proche. Des piles de son nouvel opus attendent leurs lecteurs. Dessiné par Béatrice Tillier, l’album Tête noire inaugure le cycle Les sorcières, troisième et dernière époque de la série Complainte des landes perdues. Comme bien souvent chez Dufaux, le bien et le mal s’entremêlent au sein de cette vaste fresque. La magie noire tutoie ici l’amour courtois, la folie, la violence et la mort dans un univers médiéval fantastique.
Blessures du passé
«On peut entamer Complainte des landes perdues avec ce nouveau titre, sans avoir lu les précédents, précise Jean Dufaux. Mais c’est évidemment plus enrichissant si on l’inscrit dans la continuité.» La continuité, ce sont huit volumes mis en images par Grzegorz Rosinski (Thorgal) puis par le regretté Philippe Delaby, disparu en janvier 2014. «Au départ, j’avais imaginé un diptyque autour d’un personnage féminin, Sioban. Et puis un jour, j’ai découvert l’Ecosse, lors d’un voyage. Des décors fascinants. J’ai ressenti la même sensation en Irlande. En quelque sorte, j’ai découvert la carte des landes perdues. Cela m’a donné envie de développer le projet, en l’axant davantage autour d’une famille et d’une géographie.»
Assez rapidement, Dufaux a trouvé la phrase clé qui lie tous les volumes des Complaintes. Il la cite volontiers: «L’amour est au cœur du mal et le mal est au cœur de l’amour.» Sur cette base, il a échafaudé ce qu’il appelle «une légende mythologique» où cohabitent plusieurs de ses thèmes favoris: la démence, les blessures du passé ou le jeu des apparences transparaissent dans toute son œuvre, à l’image des séries Djinn, Niklos Koda, Murena ou Barracuda.
Passant alternativement de l’ombre à la lumière, ses personnages restent volontairement ambigus. «Ils ont des failles, possèdent le diable et le Bon Dieu en eux, pour reprendre l’expression de Sartre. Ils butent, se trompent, cherchent la rédemption sans forcément la trouver.»
Intégrés dans un Moyen Age fantasmé, les protagonistes tout en nuances des Complaintes évoquent ceux des romans et du feuilleton télévisé Game of Thrones (Le trône de fer). «J’ai commencé ma série bien avant», rappelle Dufaux, qui apprécie par ailleurs en connaisseur la richesse de l’univers de fantasy médiévale créé par George R. R. Martin. «Les histoires où cohabitent un arc principal et des arcs secondaires me passionnent. J’aime quand les destins des uns ont des répercussions sur ceux des autres.»
Des détails pour rebondir
S’il reste toujours sensible à l’émotion que dégage un récit, Dufaux, en scénariste accompli, s’y entend pour disséminer force détails dans ses récits. Ceux-ci lui permettront de rebondir, parfois bien des années plus tard. «Je donne des instructions précises, plan par plan, aux dessinateurs qui collaborent avec moi. Peu à peu, les pièces du puzzle finissent par s’imbriquer. Le grand défaut de la bande dessinée, c’est qu’on demande aux lecteurs d’appréhender une œuvre par morceaux. Chaque album des Complaintes peut s’envisager comme une saison en télévision ou comme le chapitre d’un livre.»
Dufaux, qui avoue «ruminer ses histoires», a dans sa tête une idée précise de la conclusion de sa saga. «L’histoire expliquera comment est né le mal qui se déchaînera dans le cycle originel de Complainte des landes perdues.» Dieu et le diable n’ont pas fini de s’affronter.

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