Festival de BD de Perros-Guirec :
Béatrice Tillier, la précision au service de l’imaginaire
Marie-Hélène Clam le 19 avril 2023 à 09h29Invitée d’honneur du festival de BD de Perros-Guirec 2023, Béatrice Tillier était récemment à celui de BDécines, près de Lyon, où elle a reçu le prix du meilleur album pour « Regina Obscura », le dernier tome du cycle des « Sorcières ». (Photo Olivier Brazao)
Dessinatrice de « Fée et tendres automates » ou encore de « Complainte des landes perdues », Béatrice Tillier est l’invitée d’honneur du 29e Festival de BD de Perros-Guirec, les 22 et 23 avril.
Êtes-vous tombée dans le fantastique et la science-fiction toute petite ? Les contes, les fées, les sorcières, ça vous parle : est-ce l’imaginaire qui vous guide ?
Oui, j’allais emprunter les albums de Moebius, Druillet, Arno dans la bibliothèque de mes parents. J’étais fan de « Star Trek », dont je réinventais les épisodes en jouant avec mon frère. Les contes, c’est un bon vivier créatif. L’imaginaire, oui, le besoin de m’éloigner du quotidien, de m’évader en imaginant des mondes, en vivant d’autres vies à travers des personnages.
Auriez-vous rêvé de vivre au Moyen Âge ?
En tant que femme, pas franchement, je pense que notre époque est la moins « pire » pour notre condition, mais en observatrice invisible, cela pourrait être palpitant. C’est une époque à la frontière entre les croyances païennes et les légendes, propices au déroulement d’une bonne histoire.
« Fée et tendres automates », votre première trilogie, a reçu de nombreux prix. Vous avez eu envie de continuer vers ce type d’univers fantastique, avec « Le Bois des Vierges » ?
« Fée et tendres automates » était plus du steampunk que du fantastique, même si la féerie pointait son nez… Je m’y sens à l’aise, dans mon élément, avec des décors, des costumes que je prends plaisir à dessiner. Mon incursion dans le contemporain, même si l’histoire était très prenante (« Mon voisin, le Père Noël », avec Philippe Bonifay, aux éditions Casterman), a été un calvaire à réaliser. Je ne pense pas retenter l’expérience.
La passion du détail, la recherche de l’imaginaire sont les marques de fabrique de celle qui se définit avant tout comme une illustratrice. (Photo Béatrice Tillier) |
Pour le cycle 3 de la « Complainte des landes perdues », était-ce difficile de reprendre une série après un autre dessinateur ?
J’ai proposé ma candidature pour ce cycle 3 pendant la période où « Le Bois des Vierges » cherchait un nouvel éditeur. Je l’ai fait avec la bénédiction du regretté Philippe Delaby, et la difficulté fut de ne pas trahir le travail et la qualité mis en place pour cette série. Je me suis replongée dans les deux autres cycles, même si je les connaissais déjà, pour en sortir l’essence, les intrigues, les filiations, les détails et les mécanismes. L’atmosphère, je l’ai retrouvée en utilisant l’aquarelle pour rendre les décors brumeux et humides, comme l’avaient fait Delaby et Jérémy pour le cycle 2.
Comment travaillez-vous avec vos scénaristes ? En suivant scrupuleusement le story-board ? Prenez-vous des libertés sur le physique des personnages, les décors ?
Je respecte l’intention du scénariste et le contenu du fil rouge, mais je reste maîtresse de la composition de ma page, de sa mise en scène, du jeu d’acteur des personnages, de leur choix physique approprié à leur caractère et des designs généraux. Je conçois mes albums comme un film sur papier.
On vous dit coloriste. C’est souvent une couleur qui tient le fil rouge d’une planche ou d’une séquence. C’est votre marque de fabrique ?
Je ne suis pas une coloriste : c’est un métier qui consiste à s’adapter à chaque nouveau dessinateur, à se fondre dans son style. Je me vois plus comme une illustratrice. La couleur est la « récompense » après le dur labeur de l’élaboration du crayonné et de l’encrage. C’est l’aboutissement, la cerise sur le gâteau. Je la conçois dès la création des pages, je prévois les sources lumineuses qui vont donner l’ambiance. Les personnages et les lieux ont des codes couleurs pour que le lecteur sache immédiatement à qui il a affaire et où il se trouve.
Le souci du détail dans les couleurs, un dessin fouillé, précis.
(Photo Olivier Brazao)
Les Celtes, la Bretagne, ça vous parle ? Êtes-vous déjà venue au Festival de Perros-Guirec ?
Laurent Vicomte m’avait invitée il y a longtemps et, depuis, je reviens régulièrement. J’ai été très honorée d’avoir été choisie pour réaliser l’affiche et être exposée. J’apprécie beaucoup la Bretagne et ses mythologies, la « Complainte » y a un peu sa place.
PratiqueFestival de BD de Perros-Guirec, les samedi 22 et dimanche 23 avril, de 10 h à 18 h. Tarif : 4 € la journée, 6 € les deux jours (possibilité d’utiliser son pass culture pour les 15-18 ans), gratuit pour les moins de 12 ans. Quarante planches originales de Béatrice Tillier seront exposées à la Maison des Traouïéro. Visite commentée en sa présence samedi 22 avril, à 10 h 30.
En complément
Quelle vision portez-vous sur une certaine BD actuelle, les romans graphiques ?
C’est surtout que cela ne devrait pas s’appeler de la BD. C’est un autre type de travail, de narration qui n’est pas comparable à l’art de la bande dessinée franco-belge : un dessin abouti, une couleur narrative, un scénario comportant des règles narratives, créatif, fictif ou historique, mais documenté, transposé… et devant tenir dans un nombre de pages limitées. La plupart des romans graphiques sont souvent dépourvus d’imaginaire, autocentrés, rapidement posés sans composition, à l’état de « rough », avec des touches de couleurs parce que le noir et blanc est moins vendeur. La pagination est importante car il n’y a pas de travail de synthèse, on raconte au kilomètre et au kilogramme. Ils laissent dans leur sillage un parfum de « pas assez doué en écriture pour être romancier et pas assez bon en dessin pour être illustrateur, alors on fait du roman graphique ».
Pour moi, le roman graphique est à la bande dessinée ce qu’Ikea est à l’ébénisterie. Il en faut pour tous les goûts, mais les éditeurs ont surtout trouvé dans cette niche un moyen de produire rapidement des pavés en sous-payant les auteurs avec des « forfaits ». Si j’ai choisi de faire de la BD, c’est pour m’échapper de mon quotidien et surtout pas pour devoir le lire en image !
Vous êtes aussi sévère avec les prix accordés à Angoulême...
Angoulême est une vaste fumisterie, jamais un auteur humour ou jeunesse n’est récompensé, jamais le réalisme ou les couleurs ne sont mis à l’honneur. Il est dommageable pour la profession de voir que le seul moment de l’année où les médias se penchent enfin sur la BD, on présente ce genre d’ouvrages au grand public, souvent ignorant de cette littérature pourtant régulièrement en tête de toutes les ventes de livres.
Que pensez-vous de la folie manga ?
Le manga, comme le comic, c’est une autre culture, un autre concept, parfaitement maîtrisé (production addictive, animés, dérivés). Il y a de très bonnes séries et, surtout, très bien ciblées pour tous les âges et genres. Il a permis à beaucoup de se tourner vers la lecture et en cela, c’est une très bonne chose. Car certains lecteurs s’intéressent ensuite à la bande dessinée.
Quelles ont été vos grandes influences ? Quels dessinateurs admirez-vous ? Passés ou actuels ?
Moebius, Leloup, Juillard, Wendling, Ségur, Loisel, Yslaire, Vicomte… Mais le déclic a été François Bourgeon, qui m’a démontré que ma conception de ce que devait être la bande dessinée était possible et qu’on pouvait en faire son métier.
Comment définiriez-vous votre style ? Un dessin réaliste au service de l’imaginaire ? Une richesse dans les détails ?
Oui, réaliste et fouillé, précis. Il n’y a pas de place pour l’à-peu-près, tout est étudié, recherché et composé pour garder le lecteur dans une immersion totale du récit.
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