vendredi 1 mai 2015

Dialogue créatif

Parfois dans vos commentaires (Merci à tous !!) se dessinent des questions pertinentes et un dialogue se crée. En voici un aperçu afin de faire profiter des réponses aux autres lecteurs (Merci à Hervé G+) :


Puis je vous demander en combien de temps vous réalisez un planche en noir et blanc ? Travaillez vous en couleurs directes sur la Complainte ? 


Entre le découpage narratif, la recherche de documentation, le crayonné et l'encrage, il faut une semaine de travail. Je travaille en couleur directes, à l'aquarelle sur l'encrage afin de respecter l'esprit de ce qui avait été mis en place par Philippe sur le premier tome du cycle 2.

J'ai beaucoup aimé votre illustration / hommage à Kriss de Valnor... J'ai trouvé vraiment fort le fait que Kriss regarde le lecteur par rapport au dessin initial. Posez vous systématiquement pour chacune de vos cases pour respecter un certain réalisme ?




Souvent, quand la pose que je désire est complexe, et surtout pour vérifier que c'est possible à faire dans la réalité car parfois on a envie de mettre en scène des mouvements que le corps humain ne peut pas réaliser ! Et comme mon dessin n'est pas humoristique, une pose trop exagérée peut vite tourner au ridicule en réalisme.


D'accord. Et lorsque votre composition est précisée, réalisez vous une perspective pour placer vos personnages?

oui toujours, sauf s'il n'y a pas de décors ou s'il y a un gros plan sur un visage.


Pour les différentes étapes de la recherche des personnages, du découpage, du crayonné, de l' encrage et de la couleur, y a t'il un échange souhaité par votre scénariste ( et vous même) avant finalisation ou êtes vous totalement libre ? 

Au départ, nous nous mettons d'accord sur le découpage narratif, mais à force de travailler avec Jean Dufaux, nous savons instinctivement ce que chacun attend de l'autre et je finis par m'approprier les personnages et l'histoire pour que tout coule de source et le scénariste me fait confiance, il sait que je ne trahirais pas son histoire. Le scénario est assez précis, mais la mise en scène est très libre. L'angle de vue permet de mettre en valeur les facettes d'un personnage. Je choisi de montrer ou non. Cela ne change rien à l'histoire mais le ressenti par le lecteur ne sera pas forcément le même. Ce qui rend ce métier très riche narrativement.


Merci beaucoup pour ces détails . Et lorsque vous travaillez sur une planche par semaine, est ce que vous vous imposez chaque jour un planning tant de temps par étape pour arriver à être dans le timing ? Je suppose que tout dépend des scènes, du nombre de personnages ... Est ce que l'éditeur vous impose un rythme ou savez vous au préalable quand vous devrez avoir terminé l'ensemble de vos planches par contrat, s'il vous plait ?

On refait le planning sans cesse... les jours passent sans se ressembler et malgré le nombre d'heures passées par jours, il y a toujours un grain de sable pour enrayer la machine. Certaines journées, je peux être submergée de coups de fils à la suite ou de mails urgents qui vont manger tout mon timing. Un festival un peu loin qui empiète sur un jour de travail, et puis la vie quoi ! La création ne se commande pas non plus. On peut être plus ou moins inspiré. Une contrariété peut venir entacher notre dynamisme, la paperasse administrative aussi... Rien n'est mécanique dans ce métier, c'est aussi ce qui fait qu'on ne s'ennuie jamais...


Ecoutez vous de la musique quand vous travaillez ? Chaque planche, chaque case distille une ambiance unique. Vos dessins dégagent une émotion, la vie. Je ne retrouve ce sentiment que chez très peu de dessinateurs actuels. Pour autant je sais que cette émotion est le fruit du travail, d'une infinie exigence. Mon intention n'est pas de vous passer de la brosse à reluire mais plutôt de vous exprimer mon grand plaisir à observer votre travail, à laisser mon imagination se perdre dans vos dessins. Votre travail me touche infiniment. Une voie à suivre en dessin. Lorsque j'ouvre mon ordinateur et qu'un de vos nouveaux dessins apparait, quel bonheur. Merci pour ce petit cadeau, à chaque fois. 


Merci !! C'est aussi dans ce but que je fais ce métier ! Oui j'écoute tout le temps de la musique, c'est même indissociable, comme une bande son sur un film. Je choisi le type de musique en fonction des scènes à dessiner. Cela peut aller du classique en passant par des B.O. de film, du blues, du jazz, de l'Indie rock, du rock, irlandais, écossais et anglais. Il m'arrive parfois de me souvenir de la musique écoutée en regardant un dessin. Je fais aussi de la musique. Les arts sont liés entre eux.


Lorsque vous travaillez et que vous utilisez la photo comme support pour les personnages comment parvenez vous à éviter que l'ensemble soit trop figé ? Est-ce que la photo aide au départ du croquis pour la structuration du corps , les plis des vêtements etc et pour les volumes et les ombres lors de la mise en couleur ? Pour les paysages photographiés suivez vous scrupuleusement vos photos ou essayez vous d'en comprendre la perspective, la structure, les lignes pour éventuellement transformer certaines parties allant dans une direction plus évidente de votre imagination et dans un respect plus important pour le récit ? 

Les photos pour les personnages servent à éviter les "tics" créatifs propres à chaque dessinateur, c'est à dire les stéréotypes dans lesquels on a tendance à se complaire, par facilité ou automatisme. Chaque étude d'après nature est une remise en question de notre savoir et une nouvelle analyse de ce qui nous entoure. Cela permet de progresser et d'enrichir notre vocabulaire graphique. On parle de photos mais avant l'arrivée du numérique, je faisais des séances de croquis avec un modèle, mais cela prenait du temps et le pauvre modèle en avait marre de se retrouver pendu la tête en bas. Aujourd'hui, je libère rapidement le modèle en prenant la pose qui m'intéresse puis j'affiche la photo sur mon écran et je peux ainsi la consulter à loisir pour en comprendre tous les mécanismes. C'est pareil pour les paysages. Je garde une trace des architectures et végétations pour les travailler au chaud dans mon atelier. On évite l'effet "figé" car la photo sert de référence, de sécurité et non pas de substitut. Je reconstruis tout, pour donner de la force et de la vie. La photo est juste là pour rassurer. La plupart du temps, la moitié de ma doc ne sert pas... mais elle reste dans un coin de ma tête, elle m'a nourrit et aidé à comprendre, car je pense qu'on ne peut bien dessiner que ce que l'on a analysé, compris et synthétisé. Sinon, si tout reste dans le superficiel, la vie ne prendra pas.
Par contre pour la mise en couleur, je ne me sers des photos que pour le choix des ambiances colorées générales. D'ailleurs ça peut-être absolument n'importe quel support, pas forcément une photo : une illustration pour enfant, du papier peint, un tissus, un nuancier dans une pub... Juste une idée de départ, un coup de pouce. Après je m'en détache, je choisi mes ombres à moi, mes sources de lumières, ce qui m'arrange pour la narration. Si on reste collé à une photo pour le choix des ombres portées, ça se sent très vite, ça "fige" justement et parfois rend illisible l'ensemble ou vient "tacher" une zone qui doit rester pure : ON TRICHE !! c'est l'avantage du dessin, on peut tout détourner ou arranger à notre convenance. Et toujours dans le but de servir le récit, guider l'oeil du lecteur. Mais effectivement, pour réaliser cela convenablement, il faut d'abord avoir appris à regarder. Bien dessiner c'est bien savoir observer.

Merci pour ces éléments très intéressants. Donc pour résumer : bien observer, analyser, comprendre, synthétiser dans le but du récit ou de l'illustration. Dans la mesure ou vous avez des personnages avec des habits dans le style un peu moyenâgeux- fantasy, réalisez vous des costumes pour les poses ? Chaque personnage vous les dessinez nu pour en saisir le mouvement, la juste pose la plus naturelle le jeu des muscles etc ? J'ai lu que les animateurs de chez Disney passent par toutes ces étapes... Je trouve que vos personnages jouent juste. Pas évident de le sentir. Je me souviens d'une de vos planches ou un personnage à cheval blanc avance et passe une rivière. Chacun de ses mouvements sont justes, vivants... Pour la couleur, cela nécessite une très bonne maitrise des basiques, des modelé des formes... pour réussir à peindre de la manière dont vous le faites. Avec de la pratique après quelques années cela doit être plus aisé...? Au départ c'est quand même rassurant d'avoir la photo à proximité pour comprendre le jeu des couleurs sur les formes... Certainement un manque de confiance... N'avez vous pas de mauvaises surprises avec la couleur? Dans ces cas là découpez vous la case "loupée" pour en coller une nouvelle?
Même si j'adore créer des costumes, je suis une piètre couturière. Par contre j'en connais les rouages (coutures, patrons, assemblages) ce qui me permet de décortiquer les costumes en fonction des époques pour pouvoir ensuite en faire une libre interprétation, les mettre en mouvement et en créer de nouveaux. Quand je sèche, je m'adresse à plus calé que moi (Sandrine). Après, il faut savoir être inventif : si j'ai besoin d'un drapé, j'utilise de vieux draps, j'ai des t-shirt XXL pour simuler certaines chemises et puis j'ai amassé beaucoup de photos de conventions costumées sur le sujet. Je possède aussi des épées d'entrainement en mousse et des jouets (hache, couteau, dagues) pour simuler les scènes de combats et vérifier qu'elles sont "jouables". J'ai longtemps pratiqué l'équitation et fait du tir à l'arc. Je connais donc les bons gestes, poses et harnachements.
Effectivement, si on veut que le vêtement tombe juste ou fasse ressortir une partie du corps ou accompagne un mouvement, on a tout intérêt à dessiner l'ensemble de la musculature du personnage puis de l'habiller. Cela évite qu'il ressemble à un sac ou que les plis tombent mal.
Pour les modelés en couleur, on en revient toujours au principe de l'observation et de la compréhension de ce que l'on a dessiné qui va permettre de faire "de tête" la circulation des ombres et des lumières. Si je sais que tel muscle ressort à tel endroit, selon l'angle de ma source lumineuse, je vais lui donner une ombre propre spécifique et projeter son ombre portée sur la surface suivante. Et bien sûr, en cas de doute, on peut se référer aux photos. 
Je suis trop maniaque pour tailler dans un original !! ils sont d'ailleurs tellement propres et lisses qu'on dirait des reproductions... Je travaille avec des couleurs transparentes. Je monte les teintes progressivement, j'ai donc la possibilité de changer d'avis en cours de route et modifiant certaines couches. Si la peinture n'est pas sèche et que le fond ne me plait pas, hop ! je passe la planche sous le robinet pour faire partir la teinte indésirable. On peut aussi revenir à l'acrylique par dessus pour faire disparaitre un élément. Rien n'est "insauvable" à part un pot de peinture noire qui aurait coulé sur la planche. La mauvaise surprise résiderait plutôt dans la réaction du papier : un mauvais lot, un mauvais bain, se tromper de sens... Là il faut recommencer !

Vous coloriez donc vos crayonnés originaux directement . Vos originaux sont en A3 ? Est ce que vous exagérez un peu les contrastes des couleurs pour la finalisation imprimerie, pour éviter quelles soient ternes? Etes vous satisfaite des sorties couleurs ou êtes vous parfois un peu frustrée du décalage par rapport à votre original ? Je perçois bien que l'élément clef est la bonne observation. Même pour les couleurs...Il est vrai que c'est le leitmotiv des profs de dessins dans les écoles d'art. Observer, comprendre le modèle avant de prendre le crayon. Avec l'âge cette maxime revient chaque jour et on en saisit bien mieux l'importance. En allant trop vite , en passant les étapes on réalise des dessins bancals et on ne se rend compte après coup des erreurs. Tout doit être bien structuré.Step by step.
oui, couleurs directes. Le choix du format est économique et pratique : le dessin doit rester dans le champ de vision humain pour éviter les anamorphoses, ne pas avoir mal au cou ou tirer sur les bras. En travaillant plus de 12h par jour vissé sur une chaise, on fini par faire attention à sa posture de travail. Le dessin doit aussi passer dans un scanner A3 pour ne pas perdre de temps à faire des montages sur ordi, rentrer dans un carton d'envoi standard sans être plié par le voyage et être contenu dans un maximum d'exemplaire dans une feuille type aquarelle. (4 par feuille, vu le prix de la feuille !!!! plus de 4€). Le but étant l'édition (soit un A4), inutile de vouloir jouer la folie des grandeur en peignant des format Grand Aigle !!! Personnellement j'ai trouvé mon format de confort, pour les yeux et les bras. La taille ne fait pas la qualité.
J'essaie de tenir compte de la repro, mais c'est difficile de se projeter dans la vision d'une machine. Mes envies sont plus fortes. On est toujours déçu par la repro, cela reste une B.D. et pas un livre d'art. Même ceux qui travaillent en numérique sont parfois surpris du résultat. Heureusement qu'il reste les expositions pour apprécier le vrai travail de l'artiste ! Quand je feuillette mes albums, j'ai envie de balancer le bouquin, je trouve ça fade ou délavé, ou alors le trait bouché, trop de noir... Et puis quand je replonge dans mes originaux, je me réconcilie avec moi-même en me disant que finalement ce n'était pas si mauvais que ça. Je fini par avoir une vision complètement erronée de mon travail à travers les livres. D'un autre coté, ça me pousse à me remettre en question et à essayer de nouvelles choses, de me tempérer, bref de progresser.

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